Etats Généraux : retour sur la journée de restitution du 4 octobre

En cette deuxième et dernière journée des Etats généraux, nous nous retrouvons de bon matin devant le MAS. Les portes n’ont pas encore ouvert, mais l’affluence devant le bâtiment est à son comble. La journée est en effet cette fois ouverte au public ! Étudiants, journalistes et invités sont venus en nombre pour assister à la restitution des ateliers. Nous retrouvons la grande salle, cette fois aménagée en disposition de conférence. Chacun s’installe à son tour. « Je vais te chercher un croissant? », demande une jeune diplômée à notre voisine. La solidarité, de bon matin, en somme !

En attendant l’arrivée sur scène de Pascal Guénée, président de la CEJ, nous entamons la discussion. À côté de nous, la participante était présente aux ateliers de la veille sur les bourses et l’alternance. Elle en tire plutôt du positif : ”Le sentiment de beaucoup de jeunes est que nous sommes face à des freins qui ne dépendent pas de nous. Pour les bourses, par exemple, celles qui se déroulent dans la capitale favorisent évidemment les Parisiens. Nous avons évoqué par exemple l’idée que les candidats puissent les tenter depuis leur lieu de résidence, j’espère que cette idée sera reprise. En tout cas, c’était super d’avoir la parole, avec le sentiment d’être vraiment écoutée”…

Le calme revient dans la salle, alors que le président de la Conférence monte sur les planches. ”Durant ce dispositif inédit, des groupes ont pu échanger en toute égalité, entre professionnels des ressources humaines, jeunes diplômés, étudiants, enseignants, représentants d’organisations professionnelles, afin que chacun puisse sortir de son silo et entendre le point de vue de l’autre. Notre méthode est de nous confronter, imaginer des solutions, face à de nombreux défis”, explique-t-il. Objectif, pour l’ensemble de la CEJ, mais aussi des participants : se projeter vers l’horizon 2030. ”Nous nous donnons six mois pour former des propositions, des recommandations, voire des demandes, d’ici le printemps prochain, afin que le foisonnement de ces deux journées ne soit pas vain, mais une première étape”.

À son tour, Léa Bouvet, fraîchement diplômée de l’EJDG, monte sur scène. ”Cette journée est l’accomplissement d’un travail concret, sur le temps long, qui a commencé en avril dernier. Durant un week-end, nous étions une quarantaine d’étudiants, venus de toutes les écoles, pour déjà échanger sur ces sujets. Cette démarche de prendre en compte notre parole était elle-même inédite. Nous ne savions pas à quoi nous attendre, mais nous avons été surpris de la richesse de nos échanges, nous avons pu discuter de notre vision du métier, et de son avenir. Cela a marqué l’émergence d’un collectif qui n’avait pas conscience de lui-même”, entame-t-elle, évoquant les pistes de travail débattues lors des tables rondes.

Son ressenti des échanges semble parfaitement représenter celui des jeunes présents dans la salle. La diplômée poursuit : ”Nous avons évoqué la question de l’égalité des chances, des discriminations, des violences, aussi, vécues lors des premières expériences professionnelles, mais aussi de la pige, du manque de préparation subi par certains, de cette impression d’être mal armés en arrivant sur ce marché. De ce métier passion, des choix de vie qu’il implique, et des sacrifices d’un côté cohérents, de l’autre non acceptables”. Cette déclaration provoque de nombreux applaudissements dans la salle. Il semble que Léa ait tapé juste. Elle conclut ainsi : ”Notre entrée sur le marché du travail est souvent un parcours du combattant, au prix de sacrifices personnels et financiers trop importants. Nous nous réjouissons de cet élan collectif, mais beaucoup reste à faire. Nous voulons être journalistes, à condition que l’on nous laisse un peu de place pour le faire…”

Le discours est important, et résonne auprès des participants, notamment des étudiants. L’occasion de montrer à nouveau l’envie de changement de la jeunesse. Antoine Chuzeville, président de la CPNEJ, prend le relais au micro. Il rappelle la création de la Commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes ”au siècle dernier”, dans le cadre de la convention collective, et son rôle ”de l’étude du marché de l’emploi dans la presse, du contrôle et de l’agrément des formations en journalisme”. ”Notre constat est que beaucoup de jeunes diplômés travaillent avec passion, mais qu’ils sont aussi nombreux à quitter la profession. La presse n’est pas habituée à manquer de candidats, ou à voir les meilleurs étudiants, lauréats de bourses prestigieuses, quitter le journalisme. Comment y remédier, c’est tout l’enjeu de ces Etats généraux ! Notre objectif est de défendre nos métiers et de protéger la qualité de l’information”.

Alexandre Koutchouk, sous-directeur de la presse écrite et des métiers de l’information à la Direction générale des médias et des industries culturelles, prend sa suite, pour rappeler ”le rôle démocratique fondamental” de la presse, justement : ”À l’heure où chacun peut diffuser des informations, s’auto-proclamer journaliste, il est essentiel de réfléchir collectivement au sein des entreprises de médias. Il n’y a pas de journalisme de qualité sans formation de qualité, en début de carrière, et tout au long de la vie professionnelle”, souligne-t-il, estimant que les journalistes demeurent ”les garants de l’accès des citoyens à une information fiable et pluraliste”. Un discours bien évidemment soutenu par l’ensemble des participants à cette matinée de dialogue.

Leur venue était attendue sur scène : Rodolphe Ejnes et Marie Leplaideur sont consultants pour le cabinet Pluricité, chargé par la CEJ de réaliser une enquête cette année, auprès des quatre dernières cohortes de jeunes diplômés des écoles de la Conférence. À travers ces échanges, ils ont compilé des statistiques. Ils partagent leurs résultats avec l’audience. Premier constat : les écoles reconnues sont un gage de qualité. ”Elles sont vues comme une carte de visite, un label, un vrai plus pour entrer dans le métier. D’ailleurs, beaucoup d’employeurs sont justement issus de ces cursus”, constatent les consultants, qui relèvent ”une vraie satisfaction vis-à-vis de la formation, avec un socle de compétences cohérent avec les attendus professionnels”.

Cependant, les jeunes journalistes observent quelques manques dans leurs cursus respectifs. ”Beaucoup ont exprimé le besoin d’être formés aux nouveaux formats, les réseaux sociaux sont beaucoup revenus dans nos échanges, avec un décalage entre l’attente des employeurs quant aux jeunes, et la confrontation avec le réel, qu’ils n’utilisent pas tous TikTok par exemple ! Nous avons aussi recensé des demandes sur l’infographie, la data, le SEO, le marketing des synopsis… Du côté des savoir-être, la dimension commerciale du métier est ressortie, avec la volonté d’assumer que cela fait partie du métier, avec l’importance de savoir vendre un projet ou un pitch”, détaillent Rodolphe et Marie.

Malgré cela, près de deux tiers des répondants jugent leur intégration professionnelle ”plutôt” ou ”très facile”. Pluricité met en avant la grande diversité des statuts des jeunes diplômés : 35% sont en CDI, 28% pigistes, 25% en CDI. ”C’est différent de la moyenne des autres bac+5, qui sont à 50% en CDI”, signale le cabinet. D’ailleurs, paradoxe avec l’impression d’intégration plutôt aisée dans le milieu, 70% des sondés estiment que ce qui caractérise le plus le métier, c’est la précarité. Le cabinet l’explique ainsi : ”Beaucoup se disent qu’en comparaison avec d’autres jeunes diplômés du secteur, même précaires, ils n’ont pas à se plaindre. C’est un discours que nous avons beaucoup entendu : les formateurs préparent largement les jeunes au fait que leur insertion sera difficile, qu’il faudra baisser la tête plusieurs années. Une forme de résilience et de préparation à cette difficulté se sont préparées, ce qui leur permet de relativiser”.

L’enquête relève une dernière tendance, allant dans le sens de nombreux échanges au fil de ces deux journées : une volonté de préserver sa vie personnelle. Ainsi, 36% des jeunes jugent qu’un journaliste ne devrait pas travailler plus de 35 heures. Et l’articulation vie pro-perso arrive en tête des priorités quant au choix d’un poste, ex-aequo avec la ligne éditoriale, et devant l’ambiance au travail ou la rémunération !

Place désormais à la restitution d’une autre enquête, menée cette fois par des enseignants-chercheurs, sur l’alternance. Pour en parler, nous retrouvons Valérie Jeanne-Perrier, du Celsa, et Sandy Montañola de l’IUT de Lannion, ainsi que Samuel Bouron, sociologue à l’université Paris Dauphine. Un chiffre clef, cité par Valérie Jeanne-Perrier : 70% des jeunes voient l’alternance comme une voie qui facilite l’insertion. ”Nous avons donc voulu comprendre ce qui se passe quand cette modalité est choisie, et comment les apprentis la ressentent. Nous avons donc mené 34 entretiens avec des étudiants, d’une durée moyenne de 88 minutes”, résume l’enseignante-chercheuse du Celsa.

Quelques éléments pour comprendre ce panel : 13 apprentis ont grandi dans un environnement urbain, 17 en ruralité et 3 dans une petite ville. 16 ont choisi une voie ES au lycée, 8 L et 8 S, les deux derniers viennent de STMG. 20 viennent de classe moyenne, 11 supérieure, et trois populaire. Face aux concours, les étudiants en passent en moyenne quatre. 17 ont fait une prépa. 15 ont échoué la première année. Beaucoup de chiffres, qui permettent cependant d’appréhender ces journalistes en herbe.

Les enseignants-chercheurs les ont interrogés sur comment se passe leur alternance, très concrètement. Réponse de Sandy Montañola : ”La situation est très hétérogène, et ce peu importe les écoles. Cela dépend surtout du média. Certains ont peu, voire pas accès au terrain, avec des tâches peu valorisées, souvent réservées aux alternants. Leur accès aux espaces de réflexion et de décision est restreint. Et ils se retrouvent face à des transgressions de l’éthique journalistique, avec du copier-coller par exemple…”

Justement, les conditions de travail peuvent se révéler rudes, comme le montre Samuel Bouron : ”Ils font des horaires élevés, neuf heures par jour en moyenne. Certains restent longtemps dans la rédaction et n’osent pas partir. Paradoxalement, plus la charge de travail est lourde, et plus les étudiants ont l’impression de progresser, d’apprendre à être efficaces, rapides, techniques. Cela est vécu comme une chance dans la vie d’une rédaction”. Pour autant, déclare le sociologue, les répondants ne sont pas dupes quant à ”leur place dans la hiérarchie” : ”Il y a des services entiers composés de précaires, alternants, CDD, conscients de ne pas avoir les postes les plus attrayants de la rédaction et limités à certaines tâches. C’est une mise à l’épreuve acceptée, car temporaire”. L’apprentissage est alors vu comme une manière d’ouvrir des sas, pour ensuite être employables. Et ainsi s’insérer rapidement sur le marché du travail.

C’est désormais le moment que tout le monde attend : la restitution des fameuses recommandations, émises par les douze ateliers de la veille, qui ont demandé tant d’échanges, de réflexions, et de travail de synthèse ! Pour rendre le tout interactif, la CEJ propose aux présents d’utiliser l’outil Wooclap, permettant de noter en direct les différentes propositions, afin de faire remonter celles que chacun préfère. Et pour l’occasion, une invitée de marque est présente au premier rang, sans s’être cependant annoncée au plus grand nombre : Rima Abdul Malak, ministre de la Culture. Elle a justement demandé à assister aux échanges, pour écouter, tout simplement.

Commençons par l’atelier ”L’alternance, nouvelle porte d’entrée ? Entre effet d’aubaine et insertion durable”. C’est la rapportrice, Corinne Vanmerris, directrice adjointe de l’ESJ Lille, qui débute cette liste des recommandations. Elle rappelle quelques éléments clefs : le doublement de la part d’apprentis depuis 2019, pour atteindre 40% des étudiants. Et qu’un tiers des apprentis reste ensuite en poste dans leur entreprise. Les recommandations : l’amélioration du tutorat en entreprise, via une formation des tuteurs ; l’amélioration de la transparence et de la fluidité des offres d’alternance, via une plateforme en cours de développement par l’Afdas ; la création d’un club des RH des médias, pour faire un tour de France des écoles de la CEJ et pour présenter leur politique de recrutement. L’occasion de rappeler la rémunération minimale des apprentis, afin d’accéder à la prime d’activité !

Christophe Deleu, directeur du CUEJ, revient sur ”Bourses, stages, CDD, CDI, clarifier les règles du jeu”. Les propositions : ”une égalité devant les bourses et concours, en restreignant l’accès aux bourses et concours aux étudiants non alternants, sauf ceux prévus pour les alternants. Une égalité de territoire pour passer ces bourses et concours là où les étudiants vivent ; mieux prendre en compte les difficultés financières des stagiaires, avec une indemnisation partielle ou totale de leurs frais de logement et/ou de déplacement ; formaliser l’encadrement des stagiaires en rédaction, avec des entretiens d’arrivée et de départ, des informations sur la mission en amont, une obligation de suivi et un questionnaire de satisfaction à l’issue du stage. L’occasion de signaler une réforme du redouté planning de Radio France, largement applaudie par le public.

Au tour de Roselyne Ringoot, directrice de l’EJDG, de parler de l’atelier ”Egalité, discriminations, publics délaissés, comment aller vers un journalisme plus inclusif”. Les recommandations n’ont, confie-t-elle, ”pas été faciles à synthétiser”. Les voici néanmoins : travailler sur la visibilité des écoles reconnues et les voies d’accès, afin de sensibiliser plus largement, de susciter des vocations dans tous les milieux sociaux, auprès des collégiens, en facilitant les interventions des étudiants en journalisme dans les écoles ; intégrer la nécessité de présenter la diversité, à travers la création d’un ‘diversity editor’, pour vérifier que les sujets respectent bien la diversité ; ajouter dans les chartes de déontologie la question des diversités et du genre, pour interroger les stéréotypes et représentations. ”Ce que l’on veut rendre visible, c’est l’invisibilité de certains, justement. Il faut avoir une démarche volontariste dans ce sens”, conclut la rapportrice.

Pour ”Précarité économique, aléas des revenus de la pige, inflation, éviter de perdre les talents”, c’est Claire Tomasella qui est en charge de détailler les recommandations : ”Nous avons abordé les réalités hétérogènes, aux bords de la légalité dans ce mode de rémunération, pourtant très encadré par la loi. Cela a été une gageure de formuler des propositions, qui soient pratiques et au regard de la marge de manœuvre de la CEJ”, souligne-t-elle. Les trois points clefs : ”Formaliser au sein de la CEJ un contenu de formation sur la pige, le démarchage, le pitch, la dimension juridique et fiscale, le droit du travail, avec des adaptations aux spécialisations, à placer en dernière année de cursus ; constituer au sein de la CEJ un vade-mecum de la pige avec des référents, signalant le cadre légal et les syndicats, que chaque école s’engage à diffuser à ses étudiants ; avoir un référent pige dans chaque média et développer la formation continue des RH aux spécificités du secteur journalistique.

L’atelier ”Premières missions, remettre les jeunes journalistes sur le terrain” est rapporté par Valérie Jeanne-Perrier, du Celsa. ”Beaucoup ont mis en évidence que les premiers stages et les premiers moments dans l’emploi peuvent être déceptifs, avec un terrain rêvé qui n’advient pas. Or, le terrain ne peut se contenter d’un tweet ou d’un mail”, relaie-t-elle. Les trois propositions du groupe sont les suivantes : clarifier de manière formelle la répartition entre travail de desk et de terrain dans les conventions de stages et les contrats de travail, être clair dès le début pour l’alternant ou le jeune diplômé ; encourager la rotation dans le travail sur les tâches répétitives (notamment sur le bâtonnage de dépêches) ; développer la formation dans les écoles et la formation continue dans les rédactions sur les risques psycho-sociaux liés au terrain.

Enchaînons avec ”Se préparer aux nouveaux modes de consommation de l’information, quels enseignements ?” Jacques Araszkiewiez, directeur de l’École de journalisme de Cannes, accompagné d’Emmanuel Marty, enseignant-chercheur à l’EJDG, détaillent les trois propositions : renforcer la formation à la production de l’information pour les risques psycho-sociaux, intégrer une approche horizontale et participative dans les modalités d’enseignements, mettre à jour et actualiser en permanence sur les dimensions techniques et graphiques ; développer les formations initiale et continue aux risques de cyber-harcèlement en lien avec l’exposition sur les réseaux sociaux, pour les sujets incarnés, avec une forte exposition personnelle des journalistes ; formaliser sous forme de charte les principaux attendus de la rédaction pour la production de contenus sur les réseaux sociaux.

Autre sujet attendu, l’atelier ”Écoles, DRH, rédactions, CPNEJ, mieux dialoguer pour mieux défendre les cursus et les métiers”. Là aussi, trois recommandations ont été synthétisées par les groupes de travail : institutionnaliser un forum des entreprises et des métiers ; participer aux salons type l’Etudiant régionaux et nationaux au nom de la CEJ, pour mettre en valeur les spécificités des cursus reconnus ; créer un portail agrégeant des informations à destination des étudiants et futurs journalistes.

Sur la question clef ”La carte de presse est-elle toujours incontournable?”, c’est Laurent Bigot, directeur de l’EPJT, qui prend la parole. ”Cette question a été ambitieuse, les discussions tout autant. Et cela nous a amenés à évoquer des pistes intéressantes en termes d’évolutions”, souligne-t-il. Les trois idées clefs sont citées : création d’une carte d’étudiant en journalisme pour les étudiants des 14 écoles avec soutien de CCIJP ; faire intervenir au moins une fois dans le cursus de chaque étudiant la CCIJP ; conditionnement des aides à la presse au respect des statuts des journalistes professionnels, pour que tous respectent le salariat.

Thématique forte pour les étudiants, l’atelier ”Produire et bien utiliser les nouvelles compétences sur les politiques de la terre” est représenté par la directrice du CFJ, Stéphanie Lebrun. Elle prend le temps de rappeler que seuls 1% des sujets en 2019 concernaient le climat. Et que ce thème pourtant clef n’a occupé que 5% du temps médiatique pendant la présidentielle. ”Le lien n’est pas toujours fait entre des évènements extrêmes et le dérèglement climatique. Or, il y a une réelle demande du public, notamment de la part des jeunes”, relève-t-elle. Résultats des échanges : renforcer les formations sur le climat dans les écoles, avec une base commune de connaissances et d’aptitudes pour comprendre et traiter les problématiques, en prenant par exemple la forme d’une certification ; nommer des référents sur les thématiques climat dans les rédactions, en veillant à ce qu’elles soient abordées correctement et veiller à la mise en place de process de production pour réduire l’empreinte carbone et les déchets de la rédaction ; mettre en place un annuaire d’experts du sujet, basé sur le modèle des Expertes, accessible aux écoles et aux rédactions.

Vient maintenant ”Faire de l’égalité des chances un levier de renouvellement dans les écoles et les rédactions”, présenté par Sandy Montañola. Les recommandations sont les suivantes : faciliter l’accès aux concours des écoles, en limitant, en homogénéisant les frais des concours et en les regroupant sur une seule et même plateforme ; obliger légalement les entreprises à publier sur leur site internet les informations nécessaires pour piger et diffuser les offres sur Pôle Emploi et/ou LinkedIn ; organiser des rencontres, sur le temps des cours, dans des collèges et lycées prioritaires, afin de susciter des vocations.

Avant-dernier atelier, alors que l’heure de la pause déjeuner approche à grands pas ! Arnaud Schwartz, directeur de l’IJBA, revient sur l’atelier ”Management, dépasser le choc des générations et répondre aux nouvelles aspirations des jeunes journalistes”, et évoque justement l’attente d’un ”meilleur équilibre pro/perso”. ”Comment leur donner tort?”, lance-t-il, revenant sur ”les nombreux signaux d’alarme qui retentissent sur une moindre attractivité de postes dans les grands médias, qui doivent alerter la profession”. Pour aller dans ce sens, l’atelier a lui aussi généré trois propositions : créer un glossaire des choses que l’on ne veut plus entendre en rédaction et dans les écoles, renforcer la formation des étudiants aux règles du droit du travail qui les concernent ; renforcer la formation des managers et davantage impliquer les RH, notamment sur le temps de travail et le droit à la déconnexion ; créer un livret d’accueil en rédaction, dans chaque entreprise de presse, pour identifier les personnes ressources, sur les questions RH.

Nous arrivons à la fin de cette dense matinée, et au tout dernier atelier à restituer. Le rôle incombe à Pierre Ginabat, directeur de l’EJT, sur ”Quelles compétences pour les jeunes journalistes aujourd’hui et demain?”. ”Ne vous inquiétez pas, vous allez bientôt déjeuner”, lance le directeur en riant, rapidement imité par la salle. Il donne les trois recommandations de son atelier : considérer l’école de journalisme comme un laboratoire, pour apprendre à s’adapter aux nouvelles évolutions technologiques tout au long de son parcours professionnel ; renforcer les échanges avec des spécialistes non journalistes pour développer la pertinence et l’efficacité des sujets (data journalisme avec des informaticiens, construction de l’audience avec un YouTubeur, etc) ; aborder les productions des étudiants en mode projet, pour favoriser l’initiative et la créativité.

La pause déjeuner est bien méritée, après cette matinée intense et riche en contenu ! C’est parti pour presque deux heures, durant lesquelles les participants peuvent profiter du buffet et d’un agréable moment de networking. Les étudiants présents se déclarent plutôt satisfaits de l’expérience et ont, comme la jeune diplômée de ce matin, la sensation d’avoir pu faire passer leur message, d’avoir été écoutés durant les différentes tables rondes. Tous espèrent en tout cas que les recommandations formulées auront un impact sur le moyen, et surtout le long terme.

Retour à la grande salle pour ce dernier après-midi. Au programme, le retour de la part des écoles sur les fameuses expérimentations menées depuis un an. Elles seront toutes modélisées et partagées, afin que l’intégralité de la CEJ puisse s’en saisir. Chaque établissement intéressé pourra ainsi reproduire ces bonnes pratiques.

Citons-en quelques-unes, justement ! L’IFP a testé un système de coaching individuel, comme l’explique le co-directeur, Rémy Le Champion, afin de ”préparer les étudiants aux entretiens professionnels”. ”Nous travaillons par exemple sur la construction d’un récit professionnel accrocheur, en lien avec les valeurs de chacun, avec une mise en situation face à un possible chef de service, un employeur…” Une expérimentation intéressante, ”encore à retravailler” pour être perfectionnée. De son côté, Lannion est parti du constat d’une inégalité toujours forte entre hommes et femmes. ”Nous avons fait un test avec sept étudiantes, suivies par sept journalistes, dans des secteurs différents, afin de leur proposer des visites de rédactions, du réseau, mais aussi de les aider à prendre confiance en elles. Le dispositif a très bien fonctionné, même si cela demande des moyens, par exemple pour que les étudiantes puissent se rendre dans les rédactions”, souligne Sandy Montañola, globalement satisfaite de l’expérience. Les ”marraines” ont notamment proposé d’ajouter des moments plus informels, pour échanger de façon plus approfondie.

Autre expérimentation à l’IUT de Lannion : un projet de datajournalisme en presse régionale. ”Le constat de départ : le data-journalisme est souvent limité à des technologies que l’on arrive à maîtriser, des tableurs par exemple, ce qui fait que l’on s’attaque à des jeux de données relativement peu volumineux. Pour aller plus loin, on est face à une barrière !”, remarque Loïc Ballarini, enseignant-chercheur à l’IUT. Les étudiants volontaires ont ainsi étudié des données liées aux diagnostics de performance énergétique, agrégés par l’Ademe. ”Le but était que le résultat ait une pertinence éditoriale. Nous nous sommes fait accompagner par deux data-journalistes, et le bilan : c’était super”, explique l’enseignant en souriant, promettant de partager tous ces éléments, sous licence libre, afin que toutes les autres écoles puissent s’en saisir si elles le souhaitent.

Du côté de l’IUT de Cannes, l’expérimentation portait sur la compréhension des habitudes de consultation de l’information. ”Nous avons voulu enquêter, pour comprendre comment les Français s’informent ! Les étudiants sont partis à la rencontre de personnes, par tranches d’âge, pour les questionner sur leurs habitudes. Nous avons ensuite fabriqué 30 pastilles, à destination de différents réseaux sociaux, en reprenant les codes de chacun, publiés en dix jours, aux heures de prime de chaque réseau”, détaille Olivier Theron, enseignant de l’établissement, qui a piloté le projet. Résultat, en réussissant à s’accorder avec les algorithmes, les étudiants ont touché 100.000 personnes. ”C’est pratiquement la création d’un média”, se réjouit-il. L’IJBA revient ensuite sur sa volonté de davantage de dialogue et de diversité dans les médias. Puis, l’IPJ évoque un dispositif pour aider les jeunes journalistes à bien démarrer leur carrière.

À l’issue de cette présentation, ce sont les étudiants qui reprennent la parole, pour revenir sur leur séminaire stratégique. Agathe Legrand revient sur la vision des jeunes présents : ”Nous attendons beaucoup de ces journées, les décisions qui seront prises aujourd’hui, si elles sont appliquées demain, auront un impact concret sur notre futur, positif, espérons-le. Il y a en effet urgence, nous sommes jeunes, motivés, pleins d’ambitions et de rêves. Nous sommes des milliers à vouloir passer les concours d’entrée des écoles reconnues, dont les taux de réussite sont de 4%. Parfois, nous les passons deux, trois fois. Et une fois le bac+5 en poche, ce n’est que pour voir la partie émergée de l’iceberg”.

Elle poursuit : ”Nous acceptons des conditions de travail précaires, des situations aberrantes, des rémunérations inférieures à celles de nos collègues titulaires, nous nous réjouissons d’un CDD d’un mois, nous dépensons parfois plus que ce que nous gagnons, pour pouvoir travailler. À ce stade, je n’appelle plus cela un sacrifice. C’est pour cela que nous attendons beaucoup de cette journée”. Une intervention largement applaudie par les autres étudiants, la salle, et la CEJ. ”Difficile de passer derrière”, lance l’un de ses camarades sur scène. En effet !

Quelques derniers intervenants prennent la suite. Hervé Demailly, président de la Conférence des métiers du journalisme, qui revient sur l’édition d’un livret au printemps par la CNMJ : ”Journalisme rêvé, journalisme enseigné, journalisme pratiqué”. Puis, Frédéric Olivennes, directeur général d’Audiens, prend le temps de détailler aux participants le fonctionnement du régime prévoyance/santé des journalistes rémunérés à la pige. Virginie Sassoon, directrice adjointe du Clemi, souligne le lien fort entre le monde des écoles et celui des médias, et de l’importance de l’éducation aux médias pour les plus jeunes : semaine de la presse, venue de journalistes dans les écoles… ”Les journalistes sont les alliés des enseignants, ces deux métiers partagent un certain nombre de valeurs, dont le goût de la transmission et du vrai”, rappelle-t-elle. À ses côtés, Thierry Teboul, directeur de l’Afdas, explique de son côté ce qu’est cet Opco. Des informations précieuses pour les jeunes journalistes présents dans la salle.

L’après-midi s’achève et il est désormais temps de se quitter. ”Il ne peut y avoir d’information de qualité sans formation en journalisme de qualité. Nous l’avons démontré ici”, rappelle Pascal Guénée, montant une dernière fois sur scène, qui aura le mot de la fin : ”Il nous appartiendra dans les prochains mois, et dès aujourd’hui, de rendre possibles tous ces changements !”

Par : Laura Makary.

Crédits photos : Nicolas Fagot, Studio 9.

Etats Généraux : retour sur la journée de travail du 3 octobre

Il est tout juste 8h, et l’effervescence est à son comble. Sur la table de l’accueil, les petites mains ajustent les boîtes contenant les badges, installent les listes de noms, s’assurent que tout est bien en place. À quelques pas de là, les thermos sont remplis de café et de thé, prêts à réchauffer les arrivants au MAS, en cette fraîche matinée d’octobre. Dans les salles, les derniers préparatifs sont en œuvre. Ça y est, l’heure d’ouvrir les portes est arrivée. Badge autour du cou pour se signaler, petite signature, et c’est parti pour une journée qui s’annonce riche en discussions. Cela tombe bien, les discussions, il y en a. Il suffit de mettre quelques dizaines de journalistes et d’experts des médias dans la même pièce, un gobelet de caféine brûlant à la main, pour que les langues se délient et que les échanges se créent. De vieux amis se retrouvent, de nouvelles relations se créent, aussi. Nous sommes aujourd’hui à la première journée des Etats généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes, organisés par la CEJ, Conférence des écoles de journalisme, les 3 et 4 octobre. Objectif de ces deux journées bien chargées, financées dans le cadre du plan France Relance : repenser le métier pour le monde à venir, à travers des ateliers, pour formuler des propositions.

”On commence dans dix minutes, vous pouvez encore échanger entre vous”, lance Anne Tézenas du Montcel, déléguée générale de la Conférence, en passant en coup de vent dans la salle de pause. Nous échangeons alors avec deux jeunes diplômées, qui commencent tout juste leur carrière, mais qui semblent déjà lucides sur le secteur. Et qui espèrent pouvoir apporter leur contribution à leurs ateliers respectifs. Le bourdonnement des échanges résonne dans la salle. ”Et toi, à quelle discussion vas-tu participer ?” ”Ah, tu es dans la salle Tilleul, moi c’est Mirabelle, au 2e étage”. Le nom des salles, justement, ”cassis”, ”griotte”, ”olive”, ”aubergine”, ”potiron”, fait sourire le petit groupe qui se trouve derrière nous, tout proche du panier à viennoiseries.

Le coup d’envoi est donné, avec l’arrivée de Pascal Guénée, président de la CEJ et directeur d’IPJ sur scène, accompagné d’Anne-Sophie Barthez. La directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au MESRI était déjà présente début juin, pour une première rencontre avec les représentants d’écoles de journalisme, afin de mieux comprendre les spécificités de ces établissements un peu particuliers de son scope. Elle avait promis de revenir pour les Etats généraux, c’est désormais chose faite.

”Depuis un an, nous multiplions les initiatives”, entame Pascal Guénée, alors que les participants achèvent de prendre place dans la grande salle attenante, ”Nous avons réalisé une grande enquête sur nos quatre dernières cohortes, réalisé un séminaire prospectif avec nos étudiants en avril dernier, effectué des travaux de recherche sur la formation en apprentissage, mais aussi lancé des expérimentations dans les écoles, afin d’améliorer l’entrée dans le métier de nos étudiants. Chacune de ces expérimentations, financées dans le cadre des Etats généraux, sera modélisée et mis ensuite à disposition des treize autres cursus”. 

Il rappelle le principe de cette première journée : chaque participant intégrera trois ateliers à la suite, parmi les douze thèmes fixés. Parmi eux, on retrouve des étudiants, des jeunes diplômés, des enseignants, des membres de la direction des écoles, mais aussi des représentants des médias, journalistes et RH. Ces profils variés échangeront entre eux, en présence d’experts du sujet en question. En 1h40 sur chaque atelier, ils devront débattre, puis décider des recommandations à donner, avec pour objectif d’améliorer la situation sur la thématique. Deux rapporteurs auront ensuite la délicate tâche de noter les recommandations, puis, à l’issue de la journée, de n’en garder que trois par atelier.

”Nous voyons une unanimité quant à la nécessité de changements radicaux, dans l’intérêt de la jeunesse. Les défis sont nombreux, avec un métier en pleine évolution, un bouleversement du monde économique, une défiance du public, des défis liés à des changements économiques… Chacun d’entre vous a accepté de se mobiliser pour ces journées, afin de se projeter et de travailler sur des recommandations. Notre but sera que le foisonnement de ces deux journées ne reste pas vain, mais soit la première étape d’évolution de nos formations”, souligne Pascal Guénée, rappelant que, tels les cordonniers mal chaussés, les écoles de journalisme sont parfois mal médiatisées et connues. ”Mais nous allons y travailler”, promet le président de la CEJ, « En France, il est d’usage de critiquer ce que l’on a, mais pour bien connaître les formations en journalisme dans d’autre pays, notre modèle d’excellence à la française fait partie des plus complets au monde, et mène bel et bien vers le métier de journaliste”.

À son tour, Anne-Sophie Barthez prend la parole. « Nous avons appris à mieux nous connaître depuis ces derniers mois, et depuis, on ne se quitte plus”, commence-t-elle, face aux sourires des directeurs. « J’ai découvert la très grande diversité des modèles d’écoles, vos spécificités. Beaucoup se croient spécifiques sans l’être, mais vous l’êtes vraiment. J’ai découvert la force de vos réseaux, et cette manière d’interroger, de bousculer, de pousser les sujets importants. Là aussi, je vous dis bravo pour votre pragmatisme, et comme vous le disiez dans ce discours d’introduction, l’objectif n’est pas seulement de jeter des idées en l’air, mais d’atterrir sur des solutions concrètes”, détaille-t-elle, saluant la diversité des panels présents, la capacité ”à réunir toutes les parties prenantes”, mais aussi la remise en question des écoles et de leur modèle, à travers ces échanges.

Il est 9h30, il est temps de se réunir entre chaque panel. Chacun s’installe. Un rapide tour de table commence à l’atelier ”Faire de l’égalité des chances un levier de renouvellement dans les écoles et les rédactions”. Les deux pilotes sont Sandy Montañola, responsable du DUT (aujourd’hui BUT) de l’IUT de Lannion et Baptiste Giraud, chargé de communication de l’association La Chance. À eux de lancer les débats. Sandy Montañola commence justement par rappeler le manque de diversité dans les promotions comme dans les rédactions. Seuls 7% des effectifs sont enfants d’ouvriers par exemple. ”Il y a déjà l’entrée dans les écoles, puis en stage, puis dans le monde professionnel, et les difficultés existent lors de ces trois étapes. Pour la première, malgré de nouveaux modes de recrutements à la suite de la crise sanitaire, les profils demeurent proches, avec une culture générale prédominante, une valorisation des stages auparavant, ce qui implique des ressources financières. Or, il faut du réseau, souvent personnel pour trouver ces fameux stages. Pour préparer les concours, beaucoup passent aussi par des prépas privées”, rappelle Baptiste Giraud. L’occasion de rappeler ce que propose la Chance : une prépa gratuite aux concours, ouverte aux étudiants boursiers ou en situation de handicap, afin de les aider à passer cette délicate sélection, avec l’aide de journalistes bénévoles.

Les échanges se poursuivent, chacun prenant petit à petit sa place dans la discussion. En parlant de l’alternance, par exemple, solution souvent vue comme égalitaire, car permettant d’obtenir un salaire en parallèle de son master, une étudiante évoque sa propre expérience. Face à un tuteur très occupé, il lui a fallu trouver sa place seule. ”Je me suis sentie un peu perdue, et j’ai dû travailler nuit et jour, avec une pression constante”, confie-t-elle. Autre questionnement : les inégalités face à l’orthographe. ”Combien d’heures de formation faut-il à l’âge adulte pour rattraper un niveau d’orthographe correct? Est-ce une marque indélébile, ou est-il possible de corriger cela ?”, questionne la journaliste Marie Naudascher. Entre expériences personnelles et réflexions collectives, le groupe semble bien fonctionner.

Il en va de même pour l’atelier à leur droite, déjà en pleine discussion lorsque nous les rejoignons. Le sujet de la table : « Écoles, DRH, rédactions et CPNEJ : mieux dialoguer, pour mieux défendre les cursus et les métiers”. La question que se pose Marie-Christine Lipani, maître de conférences à l’IJBA : ”Comment montrer davantage aux étudiants et aux jeunes diplômés ce que font les entreprises de presse ? Par exemple, en dévoilant les possibilités de carrières en PQR ?” Pascal Guénée, qui pilote les échanges, acquiesce : ”Il faudrait créer de nouveaux espaces de dialogue, afin d’échanger sur ces sujets, notamment à l’échelle de la CPNEJ, pour informer davantage sur le marché de l’emploi”. Deux étudiants, de l’autre côté de la table, sont aussi en accord sur ce point, évoquant des cours insuffisants sur le sujet, et le besoin de davantage de contenus sur les piges, notamment en télévision et en radio. 

Ludovic Finez, représentant syndical, évoque les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés. ”Sur la question de la démotivation, il y a aussi un examen de conscience à faire dans les entreprises ! Dans la PQR, on observe par exemple un empilement des tâches techniques, qui mangent le cœur du métier. En plus du papier dans le print, il faut aussi s’occuper des réseaux sociaux, de la version web… La question du temps de travail, l’ambiance, tout cela pèse aussi”, rappelle-t-il. De quoi nourrir des échanges sur la problématique, pour tenter de dégager des recommandations…

Trouver des solutions, c’est aussi l’objectif de l’atelier ”La carte de presse est-elle toujours incontournable ?”. Question clef, alors que le nombre d’encartés est passé depuis peu sous la barre symbolique des 35.000 journalistes. Les débats sont notamment pilotés par Laurent Bigot, directeur de l’EPJT, en présence de Catherine Lozac’h, présidente de la Commission de la carte de presse. 

Interrogation amenée par les participants : faut-il élargir le périmètre d’éligibilité de ce fameux sésame ? D’un côté, on évoque l’idée d’une carte pour les étudiants. De l’autre, on rappelle que de nombreux jeunes diplômés espèrent créer leur propre support, ce qui les éloigne aujourd’hui de la possibilité d’être encartés. Pour la CCIJP, il est difficile de trancher : ses missions sont fixées par l’Etat. ”Un texte nous attribue la mission de donner cette carte, nous ne pouvons donc pas répondre à cette demande, la réponse devra venir du législateur”, souligne la présidente.

Direction une autre table ronde, sur un sujet qui sera largement débattu durant ces deux jours : ”Management, dépasser le choc des générations et répondre aux nouvelles aspirations des jeunes journalistes”. Durant l’échange, on évoque les problèmes justement rencontrés au sein des rédactions. ”En interne, il est souvent compliqué de dire clairement ce qui ne va pas. Pendant des années, le mensonge était privilégié, par exemple justifier le retrait d’un papier mauvais, à cause d’un manque de place, plutôt que de dire clairement les choses. Ce type de justifications passe beaucoup moins aujourd’hui, avec le web”, remarque une participante, ajoutant qu’il en va de même lorsque le chef de rubrique ou le rédacteur en chef se retrouve à réécrire 80% du papier. Le journaliste ne s’en aperçoit parfois même pas ! On opine autour de la table, la situation a déjà été rencontrée.

Autre problématique : l’écart parfois gigantesque de situation et de rémunération, entre les pigistes ou les jeunes journalistes, et leurs N+1. ”L’écart peut justifier des incompréhensions, quand un pigiste est payé 50 euros pour un papier, et que son manager gagne dix fois plus que lui, en CDI. Il y a aussi cette tendance à vouloir faire souffrir les jeunes, comme on a souffert…”, soupire l’une des journalistes du panel. De quoi susciter des discussions animées. ”Attention, il nous reste trente minutes pour formuler des propositions, il faut que l’on débouche sur du concret”, rappelle Arnaud Schwartz, directeur de l’IJBA, pilote de l’atelier, qui note les idées sur le grand tableau blanc, situé à côté du groupe…

En bout de salle, on discute d’un autre sujet important : ”Quelles compétences pour les jeunes journalistes aujourd’hui et demain ?”. Pierre Ginabat, directeur de l’EJT, questionne les étudiants présents autour de la table : ”Je me demande, sur l’IA, est-ce qu’un jeune journaliste imagine que l’intelligence artificielle pourrait faire son travail un jour?” Une étudiante répond n’y avoir jamais réfléchi. ”Peut-être qu’il le faudrait”, se demande le directeur, ”L’IA est déjà capable de traiter des statistiques, d’écrire un compte-rendu de match avec le point de vue du gagnant et du perdant. Et les Panama papers ne seraient sans doute jamais sortis, sans l’IA, ces milliers de données étant tellement vastes à explorer”. Les étudiants, face à cet argument, estiment qu’il y a toujours un besoin d’informer, qui reste humain. La thématique est en tout cas sujette à débats !

Une journaliste présente, passée par Cuisine actuelle, se souvient qu’une intelligence artificielle était capable de récolter des milliers de recettes, pour en générer de nouvelles. ”Mais cela se fait sans aucune patte d’écriture, sans réflexion”, relève-t-elle. Cela doit-il faire partie des compétences à avoir ? Il est en tout cas temps de se presser dans l’atelier. ”Il nous reste une demi-heure pour trouver des propositions concrètes pour améliorer la formation”, met en garde le journaliste Ulysse Thevenon, co-pilote de l’atelier, déclenchant des rires. Le débat peut partir loin, c’est aussi le but de ces échanges !

En parallèle, l’atelier ”Produire et bien utiliser les nouvelles compétences sur les politiques de la Terre” semble passionner les étudiants et jeunes diplômés participants, aux côtés des représentants d’écoles. Une étudiante évoque par exemple une promotion de l’ESJ, tournée vers l’écologie, avec des étudiants ayant réalisé une fresque du climat, se spécialisant sur cette thématique.

Les directions l’entendent, bien sûr. Alice Antheaume, directrice de l’école de journalisme de Sciences po, évoque les efforts réalisés au sein de son établissement sur le sujet : ”Nous avons mis en place dès 2020 un cours obligatoire sur la politique de la Terre en M1, puis une enquête en M2 sur des sujets climatiques. C’est mieux qu’avant, mais cela demeure insuffisant pour devenir réellement spécialiste du sujet. Se former au secteur de l’énergie demande du travail et de l’investissement. Et c’est une vraie problématique pour nous : comment faire rentrer tous ces contenus essentiels, tout en conservant des emplois du temps raisonnables ?” Trancher sur une maquette pédagogique n’est pas chose aisée. ”Cela se fait aussi au détriment d’autres choses, nécessairement…”

Les étudiants se montrent en tout cas enthousiastes à l’idée d’être davantage formés à ces enjeux. ”Cela peut passer par un projet favorisé par l’école, par exemple, sur une thématique liée aux enjeux climatiques, urbains, alimentaires… Cela peut être l’occasion aussi de nous former à la data, la cartographie, de tester de nouvelles compétences”, suggère une étudiante. Tous s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’un manque aujourd’hui. À combler pour les prochaines promotions ?

Pendant ce temps, à l’étage, on parle d’alternance, ”entre effet d’aubaine et insertion durable”. Le sociologue Samuel Bouron participe aux échanges. ”Les entreprises médiatiques formalisent différemment l’encadrement des alternants. Certains ont prévu des petits parcours de formation interne, par exemple, mais il existe une grande hétérogénéité et de véritables disparités. Certains sortent déjà des papiers au bout d’une semaine. De manière générale, nous observons que cela se passe mieux lorsque les effectifs sont restreints, avec moins de strates entre les pôles de CDD/ alternants, et de titulaires”, souligne-t-il. L’idée vient en discutant : pourquoi ne pas organiser une formation des tuteurs ? ”Cela pourrait même être asynchrone en partie, avec quelques heures d’apports théoriques”, suggère Corinne Vanmerris, directrice adjointe de l’ESJ Lille, pilote de l’atelier.

Les étudiants mettent également le doigt sur un point clef pour eux : la prime d’activité. Elle est accessible, à condition de toucher 1.028,96 € net. Or, il leur manque souvent quelques dizaines d’euros pour atteindre ce palier ! Autour de la table, un consensus semble se créer pour sensibiliser les rédactions à ce sujet, afin de permettre aux jeunes journalistes d’améliorer leur quotidien, grâce à cette prime.

À quelques pas de là, on se concentre sur les ”bourses, stages, CDD et CDI”. Un journaliste plus expérimenté prend la parole : ”Avant, on acceptait trop de choses. Non, ce n’est pas normal de traverser la France, sans indemnité kilométrique, d’avoir des piges si mal payées, pour les stagiaires et les pigistes qui démarrent”. D’un autre côté, une autre journaliste en poste évoque le point de vue des ”anciens”, s’étonnant de voir la jeune génération quitter la rédaction à 18h pile, ne pas rester au pot du soir, ne pas tenter davantage de s’intégrer… Un débat important, qui revient régulièrement au fil de la journée. D’un côté, des jeunes refusant de sacrifier leur vie personnelle pour leur métier. De l’autre, des expérimentés, qui observent ce décalage générationnel.

Le groupe évoque une idée : que tout stage soit rémunéré. Est-ce faisable ? Lucie Maludi, assistante du développement RH du groupe L’Express, évoque aussi la bonne volonté de certains médias, qui mettent en place des initiatives pour accueillir et intégrer les nouveaux venus en bonne et due forme.

Surprise, les plus rapides à trancher sur les recommandations sont les participants de l’atelier ”Comment aller vers un journalisme plus inclusif ?” Roselyne Ringoot, directrice de l’EJDG, vient de se lever, elle s’arrête un instant pour débriefer en notre compagnie : ”Nous avons eu plutôt des points d’accords ! Pas mal d’idées sont remontées, de quoi nous donner cinq propositions. À chaud, je retiens une discussion autour de la problématique du niveau requis à l’entrée à l’école, et de celui demandé ensuite en rédaction. Nous devons bien préparer les jeunes, et tout le monde doit avancer en même temps, ce qui nécessite un certain niveau dès l’arrivée à l’école…”

Certes, les écoles sont très sélectives. Mais derrière, pour être recrutés par des médias, leurs jeunes diplômés doivent aussi être fins prêts et opérationnels. Une équation que peinent à résoudre les établissements. Peut-être avec des pistes issues de ces débats ?

Passons à l’étage, à la salle Mirabelle au deuxième. Trois ateliers s’y tiennent, éclairés par de grandes baies vitrées. Sur les premières missions, l’objectif du groupe le plus proche de la porte est de ”remettre les jeunes journalistes sur le terrain”. ”Chaque média a sa propre stratégie d’audience, de publicité, de recrutement des abonnés… Tout dépend de son modèle économique, et il est essentiel qu’un jeune, lorsqu’il démarre son stage, sache exactement où il met les pieds”, relève Patricia Panzani, directrice adjointe de l’Alliance de la presse d’information générale. Sarah Gros, étudiante, acquiesce, posant la question de la reprise de dépêches, exercice souvent confié aux jeunes débutant dans la profession.

On se demande autour de la table ce qu’est ”le terrain”. Une étudiante relève qu’il est bien différent de travailler certes à un bureau, mais en appelant des experts, par rapport à un simple bâtonnage de dépêches. Le terrain n’est pas que le reportage, mais aussi la possibilité d’échanger, d’enrichir les contenus. L’idée d’organiser des roulements dans les rédactions, et de ne pas laisser la tâche roborative du bâtonnage aux seuls jeunes, est abordée. Les échanges vont bon train, lorsqu’une représentante de la CEJ passe pour prévenir de la fin de l’atelier. ”Il faut s’arrêter là, déjà ?”, glisse-t-on. 

Côté atelier sur la précarité économique, les discussions vont encore bon train. On parle de la pige. Emilie Gillet, experte de la table et pigiste, rappelle les grandes problématiques rencontrées par les jeunes qui se lancent : beaucoup de médias ne paient pas les déplacements liés aux reportages, les pigistes ne peuvent pas se présenter aux organisations professionnelles, certains ne connaissent pas leurs droits et acceptent de travailler dans des conditions illégales… La question de la formation se pose, car la pige fait pourtant déjà partie du référentiel des écoles.

Elle aussi journaliste pigiste, Sylvie Fagnart évoque l’idée d’un pigiste rémunéré par chaque école, afin d’être référent pige, afin de guider les étudiants sur ce sujet délicat. ”Il faut que ces sujets apparaissent davantage dans la formation, et plutôt vers la fin de la formation. Si les élèves ne sont là que depuis deux mois, est-ce que cela a un sens?”, questionne-t-elle.

Au tour, enfin, de « Se préparer aux nouveaux modes de consommation de l’information”. Parmi les experts présents aujourd’hui : Olivier Laffargue, chef de service Snapchat et TikTok du Monde. Celui-ci rappelle que 90% des Français sont internautes, et que 70% sont inscrits sur un réseau social. ”Cela fait partie de notre quotidien ! Parmi eux, 80% accèdent à internet via un mobile. Nous parlons ici de nouveaux modes de consommation de l’information, avec des mouvements encore peu connus de la presse, cela nous touche donc, en tant que médias, mais aussi en tant que formateurs”, souligne-t-il. Les échanges se tournent vers les nouveaux usages, et la formation des jeunes.

Après deux séries d’ateliers, la fatigue commence à se lire sur les visages ! Il est temps de s’arrêter, pour un déjeuner bien mérité. Un brouhaha retentit petit à petit au rez-de-chaussée, où sont distribués les plateaux repas (et le café bien sûr, toujours grand ami de la profession !). Une pause d’environ une heure et demie est prévue, le temps de laisser décanter les nombreuses idées échangées durant la matinée. Le placement étant libre pour le repas, les groupes se mélangent, l’occasion de revenir sur les temps forts des différents ateliers. ”Et toi, auxquels as-tu participé ? C’était intéressant ?”, glisse un voisin de table curieux, tout en goûtant son crumble de légumes. Les étudiants et jeunes diplômés semblent également heureux de se retrouver, pour confronter les points de vue.

Il est désormais presque 14h30, l’heure de retourner dans les salles, pour un dernier atelier. Cette fois, nous nous arrêtons à l’un d’entre eux, pour suivre l’intégralité des échanges. Ce sera ”Précarité économique, aléas des revenus de la pige, inflation, éviter de perdre des talents”. Dans le groupe : Robin Rico, jeune diplômé, deux étudiantes, Emma Calvet et Sarah Gros, Aymeric Vincent, directeur de la transformation et de l’innovation RH au groupe Echos-Parisien, Emmanuel Marty, enseignant-chercheur de l’EJDG, Claire Tomasella et Emilie Gillet.

Emilie Gillet revient à nouveau sur le constat de précarité des jeunes journalistes à la pige. “Les droits ne sont pas toujours respectés et la rémunération non revalorisée. Pourtant, en 2020, la moitié des premières cartes de presse ont été remises à des pigistes”, souligne-t-elle, rappelant que le revenu médian des postés s’élève à 3.600 euros bruts et qu’il a augmenté de 1% en vingt ans. Tandis que celui des pigistes est de 1.970 euros, et qu’il a perdu 8% depuis 2000. Selon une étude de la Scam, un pigiste sur deux gagne moins de 20.000 euros bruts par an. Et seul un quart dépasse le Smic !

Non-respect de la loi Cressard, méconnaissance du droit et du management des chefs de rubrique, jeunes qui ne connaissent pas leurs droits, tarifs bas, le constat est difficile, mais nécessaire. L’experte met en avant l’envie croissante de rejoindre des collectifs, de plus de fraternité et de moins de compétition entre pigistes. La discussion part du témoignage d’une des étudiantes, expliquant avoir été initiée au sujet par son tuteur de la Chance aux concours, un pigiste heureux de l’être. ”Tout dépend de si l’on est informé ou non. Moi, j’ai peur, cela me semble très incertain, j’ai peur de ne pas gagner ma vie et je ne connais pas la législation, les différents statuts…”, confie sa voisine, peu rassurée par l’aventure de la pige.

Robin Rico raconte sa propre expérience, plutôt heureuse pour le moment, de la pige. ”Le pigiste peut être précaire et subir sa situation. Pour d’autres, c’est aussi un sentiment de liberté, de n’être pas attaché à une seule rédaction”, confirme Emmanuel Marty, de l’EJDG, relevant la nécessité ”de former au sein des écoles les futurs journalistes, sur ce qu’est la pige”.

Côté employeurs, Aymeric Vincent évoque le fonctionnement au sein de son groupe : l’idée de proposer des tickets-restaurants aux pigistes, de leur permettre de faire partie des représentants du personnel. ”S’il n’y avait plus de pigistes demain, beaucoup de journaux seraient en très grande difficulté”, reconnaît-il volontiers.

”Quels mécanismes incitatifs pourrait-on imaginer?”, se questionne Emmanuel Marty, ”uniformiser les conditions de rémunération ? Le but est d’éviter de perdre des talents ! Une proposition pourrait être de conditionner les aides à la presse au respect d’un certain nombre de garanties…” ”Le problème est de savoir qui vérifierait cela”, répond Emilie Gillet.

Il est temps de réfléchir à des propositions. Les étudiantes évoquent l’idée de la création d’une plateforme regroupant le réseau des anciens de toutes les écoles, ainsi que d’une sorte de marketplace pour revendre du matériel entre professionnels. ”Chaque média pourrait aussi écrire clairement ce qu’il attend d’un synopsis, son prix au feuillet, pour sensibiliser les étudiants à la pige”, suggère l’une d’entre elles. L’occasion de rappeler l’existence du site Paie Ta Pige, collaboratif et incomplet, mais permettant de donner une idée à chacun des tarifs pratiqués dans les différentes rédactions.

Autre problématique soulevée : les difficultés administratives rencontrées par les pigistes, a fortiori les jeunes. Pourquoi ne pas donner systématiquement, en même temps que la première fiche de paie, les coordonnées des bons contacts côté RH et paie ?

L’heure de la pause a sonné. Nous sortons prendre l’air, en compagnie de nombreux autres participants. Quelques étudiants en profitent pour glaner de bons conseils auprès de journalistes plus expérimentés. Synopsis, rencontres avec les rédactions, comment provoquer sa chance… Autant de pistes pour les aider à se lancer, une fois le diplôme en poche. ”Je n’ai jamais eu de mal à trouver du travail, en étant actif”, glisse un journaliste pigiste dans l’audiovisuel, racontant ses projets professionnels à une étudiante qui rêve de faire de même.

Pour les rapporteurs, il est temps de se réunir ! Objectif, parfois délicat selon les groupes : réussir à synthétiser tous les propos, pour ne garder que trois recommandations, pour chaque atelier. Parfois, ce n’est pas une mince affaire, nous avouent deux participants, qui se creusent la tête face à de nombreuses possibilités. Il faut recroiser les discussions, relire les notes et bien réfléchir pour garder trois idées réalisables, néanmoins utiles pour le long terme, pour les écoles et la profession de façon plus large. 

Rendez-vous à la salle Aubergine, pour énoncer les recommandations pour chaque groupe. Mais c’est un faux départ ! Certains ateliers n’ont pas terminé, quelques participants clefs ont dû repartir… Bref, la fin d’après-midi et le début de soirée s’annoncent encore studieux pour certains panels, qui vont devoir échanger à nouveau et affiner les propositions pour le lendemain. Les groupes se dispersent. Coups de fil, consultations des mails laissés en souffrance durant cette journée intense, dernier café… Chacun prend le temps de gérer ses propres urgences ! Pour cela, le MAS est bien pensé, offrant plusieurs lieux pour s’installer, recharger son ordinateur, ou se mettre au calme quelques instants.

On retrouve les plus affamés (dont une partie des représentants des écoles !) devant la porte de la grande salle, prêts pour le dîner. Il n’y a pas de plan de table, chacun s’assoit où il le souhaite, accueilli par de grandes bouteilles d’eau pétillante et de vin rouge. Quelques-uns manquent encore à l’appel, et arrivent en cours de dîner, justement pour achever d’affiner recommandations et discours du lendemain. On parle ateliers, travaux, mais aussi quotidien dans les écoles et dans les médias, l’ambiance se détend. Idéal pour achever cette première journée riche en échanges et en émotions, et se préparer pour le lendemain, qui s’annonce tout aussi dense.

Par : Laura Makary.

Crédits photos : Studio 9. Nicolas Feutry. Dessins : Laura Makary.

Nouvelles technologies, enseignements, diversité… les étudiants de la CEJ invités à penser le journalisme à l’horizon 2030

La Conférence des écoles de journalisme (CEJ) a invité, dans le cadre des Etats Généraux, près de 30 étudiants issus des 14 écoles de journalisme reconnues par la profession, à participer à un week-end dédié à imaginer le métier de journaliste en 2030.

Depuis une salle de conférence éclairée par la lumière du jardin d’une auberge de jeunesse parisienne, une trentaine d’étudiants regroupés en quatre petits groupes prennent la parole tour à tour pour défendre leurs idées sur le métier auquel ils aspirent. Tous ont été invités par la Conférence des écoles de journalisme (CEJ), samedi 4 mars et dimanche 5 mars 2023, à représenter les 14 écoles reconnues de la profession. Il s’agit de la deuxième édition de cette rencontre. L’événement est organisé dans le cadre des États généraux de l’emploi et de l’insertion des jeunes journalistes, dont le but est de consolider la situation des jeunes journalistes. Un peu plus tôt dans la matinée, Anne Tézenas du Montcel, déléguée générale de la Conférence des écoles de journalisme en charge de l’organisation des États généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes, venue chapeauter l’événement, a invité l’auditoire à se projeter à l’horizon 2030. « Ce week-end sert à mener une réflexion sur l’entrée dans le métier et la vision de ce que sera le journalisme dans le futur », a-t-elle développé.

«Plus de force pour imaginer le futur »

Autour d’une grande table disposée en « U », les étudiants qui ont participé à la première session en 2022 témoignent. « Je pense que nous réunir ici nous permet d’avoir beaucoup plus de force pour imaginer le futur, car avant l’année dernière, j’avais l’impression que les écoles étaient isolées chacune dans leur coin », confie à ses camarades Gaël, étudiant en journalisme au CFJ. « Cette année, on a une idée plus claire d’où on veut aller, par rapport à notre précédente rencontre », affirme Agathe, jeune diplômée du CUEJ.

Le ton est donné. Les étudiants s ‘accordent pour travailler sur 4 thématiques: une discussion sur les enseignements dispensés dans les écoles, une sur la diversité dans les écoles et dans les réactions, une sur l’alternance et les stages et une dernière sur la création d’un comité étudiant.

Dans les ateliers, les idées fusent. Les échanges sont souvent inspirés du vécu des participants ou de celui des camarades qu’ils représentent. Très vite les craintes se cristallisent autour du « coût de la vie étudiante » et de la «précarité lors de l’insertion ». « On doit souvent financer nous-même les reportages que l’on propose pour l’école et ça revient vite cher dès qu’on doit se déplacer », confie Bleuenn, étudiante en BUT à Lannion. « Nos stages ne sont pas toujours rémunérés et ce n’est pas simple de faire face aux coûts qu’ils représentent, surtout quand il faut se loger dans une autre ville », continue Nina, étudiante à l’IFP.

Les étudiants estiment que cette pratique reste un frein à la diversité, « qui manque cruellement au métier », selon eux. Sur ce point, ils proposent également de renforcer l’éducation aux médias, ou de créer une plateforme qui mutualiserait plusieurs concours pour diminuer les coûts d’inscription et de déplacement. Les jeunes journalistes insistent sur un autre frein : le manque de transparence autour des offres de poste dans le métier. « Ce n’est pas évident de trouver un stage quand on n’a pas de réseau », souligne Inès, étudiante à l’EPJT. « Le mieux serait une plate-forme où toutes les offres de stages et d’alternances seraient accessibles », s’accordent les étudiants. «Ces soucis, on espère les régler avant 2030 », lance Bleuenn.

La création d’un comité étudiant

Dans le groupe dédié aux enseignements en école de journalisme, la réflexion s’oriente rapidement vers la place que prend l’intelligence artificielle dans les médias. « La technologie évolue tellement vite, j’ai l’impression qu’il est impossible de prévoir ce qui se passera en 2030. Est-ce qu’il ne faudrait pas qu’on nous enseigne comment fonctionnent les algorithmes ? », interroge Sofiane, étudiant à l’IJBA en faisant l’unanimité. « Il y a aussi les spécialités, est-ce qu’on doit toujours choisir entre la télévision, la presse écrite ou la radio, alors que les moyens de diffusion changent ? », suggère Izia. «J’aimerais voir plus d’enseignements autour de la crise climatique et aussi des scientifiques venir dans nos écoles », ajoute Agathe, étudiante en BUT à Lannion.

Des revendications notées soigneusement par le comité étudiant, dont la structure a émergé pendant le week-end. « On est déterminé à porter la voix des étudiants auprès de la CEJ pour avancer sur les problèmes qu’ils rencontrent et faire entendre leurs revendications», souligne Agathe Legrand, récemment diplômée de l’école de journalisme de grenoble. « On sait que les changements peuvent prendre du temps, mais on partage nos expériences pour ceux qui viendront après, « c’est motivant de participer au mouvement pour faire avancer les choses », partage Théo, étudiant en BUT à Cannes.

Par : Louisa Benchabane, journaliste et jeune diplômée de l’IJBA