Il est tout juste 8h, et l’effervescence est à son comble. Sur la table de l’accueil, les petites mains ajustent les boîtes contenant les badges, installent les listes de noms, s’assurent que tout est bien en place. À quelques pas de là, les thermos sont remplis de café et de thé, prêts à réchauffer les arrivants au MAS, en cette fraîche matinée d’octobre. Dans les salles, les derniers préparatifs sont en œuvre. Ça y est, l’heure d’ouvrir les portes est arrivée. Badge autour du cou pour se signaler, petite signature, et c’est parti pour une journée qui s’annonce riche en discussions. Cela tombe bien, les discussions, il y en a. Il suffit de mettre quelques dizaines de journalistes et d’experts des médias dans la même pièce, un gobelet de caféine brûlant à la main, pour que les langues se délient et que les échanges se créent. De vieux amis se retrouvent, de nouvelles relations se créent, aussi. Nous sommes aujourd’hui à la première journée des Etats généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes, organisés par la CEJ, Conférence des écoles de journalisme, les 3 et 4 octobre. Objectif de ces deux journées bien chargées, financées dans le cadre du plan France Relance : repenser le métier pour le monde à venir, à travers des ateliers, pour formuler des propositions.

”On commence dans dix minutes, vous pouvez encore échanger entre vous”, lance Anne Tézenas du Montcel, déléguée générale de la Conférence, en passant en coup de vent dans la salle de pause. Nous échangeons alors avec deux jeunes diplômées, qui commencent tout juste leur carrière, mais qui semblent déjà lucides sur le secteur. Et qui espèrent pouvoir apporter leur contribution à leurs ateliers respectifs. Le bourdonnement des échanges résonne dans la salle. ”Et toi, à quelle discussion vas-tu participer ?” ”Ah, tu es dans la salle Tilleul, moi c’est Mirabelle, au 2e étage”. Le nom des salles, justement, ”cassis”, ”griotte”, ”olive”, ”aubergine”, ”potiron”, fait sourire le petit groupe qui se trouve derrière nous, tout proche du panier à viennoiseries.

Le coup d’envoi est donné, avec l’arrivée de Pascal Guénée, président de la CEJ et directeur d’IPJ sur scène, accompagné d’Anne-Sophie Barthez. La directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au MESRI était déjà présente début juin, pour une première rencontre avec les représentants d’écoles de journalisme, afin de mieux comprendre les spécificités de ces établissements un peu particuliers de son scope. Elle avait promis de revenir pour les Etats généraux, c’est désormais chose faite.

”Depuis un an, nous multiplions les initiatives”, entame Pascal Guénée, alors que les participants achèvent de prendre place dans la grande salle attenante, ”Nous avons réalisé une grande enquête sur nos quatre dernières cohortes, réalisé un séminaire prospectif avec nos étudiants en avril dernier, effectué des travaux de recherche sur la formation en apprentissage, mais aussi lancé des expérimentations dans les écoles, afin d’améliorer l’entrée dans le métier de nos étudiants. Chacune de ces expérimentations, financées dans le cadre des Etats généraux, sera modélisée et mis ensuite à disposition des treize autres cursus”. 

Il rappelle le principe de cette première journée : chaque participant intégrera trois ateliers à la suite, parmi les douze thèmes fixés. Parmi eux, on retrouve des étudiants, des jeunes diplômés, des enseignants, des membres de la direction des écoles, mais aussi des représentants des médias, journalistes et RH. Ces profils variés échangeront entre eux, en présence d’experts du sujet en question. En 1h40 sur chaque atelier, ils devront débattre, puis décider des recommandations à donner, avec pour objectif d’améliorer la situation sur la thématique. Deux rapporteurs auront ensuite la délicate tâche de noter les recommandations, puis, à l’issue de la journée, de n’en garder que trois par atelier.

”Nous voyons une unanimité quant à la nécessité de changements radicaux, dans l’intérêt de la jeunesse. Les défis sont nombreux, avec un métier en pleine évolution, un bouleversement du monde économique, une défiance du public, des défis liés à des changements économiques… Chacun d’entre vous a accepté de se mobiliser pour ces journées, afin de se projeter et de travailler sur des recommandations. Notre but sera que le foisonnement de ces deux journées ne reste pas vain, mais soit la première étape d’évolution de nos formations”, souligne Pascal Guénée, rappelant que, tels les cordonniers mal chaussés, les écoles de journalisme sont parfois mal médiatisées et connues. ”Mais nous allons y travailler”, promet le président de la CEJ, « En France, il est d’usage de critiquer ce que l’on a, mais pour bien connaître les formations en journalisme dans d’autre pays, notre modèle d’excellence à la française fait partie des plus complets au monde, et mène bel et bien vers le métier de journaliste”.

À son tour, Anne-Sophie Barthez prend la parole. « Nous avons appris à mieux nous connaître depuis ces derniers mois, et depuis, on ne se quitte plus”, commence-t-elle, face aux sourires des directeurs. « J’ai découvert la très grande diversité des modèles d’écoles, vos spécificités. Beaucoup se croient spécifiques sans l’être, mais vous l’êtes vraiment. J’ai découvert la force de vos réseaux, et cette manière d’interroger, de bousculer, de pousser les sujets importants. Là aussi, je vous dis bravo pour votre pragmatisme, et comme vous le disiez dans ce discours d’introduction, l’objectif n’est pas seulement de jeter des idées en l’air, mais d’atterrir sur des solutions concrètes”, détaille-t-elle, saluant la diversité des panels présents, la capacité ”à réunir toutes les parties prenantes”, mais aussi la remise en question des écoles et de leur modèle, à travers ces échanges.

Il est 9h30, il est temps de se réunir entre chaque panel. Chacun s’installe. Un rapide tour de table commence à l’atelier ”Faire de l’égalité des chances un levier de renouvellement dans les écoles et les rédactions”. Les deux pilotes sont Sandy Montañola, responsable du DUT (aujourd’hui BUT) de l’IUT de Lannion et Baptiste Giraud, chargé de communication de l’association La Chance. À eux de lancer les débats. Sandy Montañola commence justement par rappeler le manque de diversité dans les promotions comme dans les rédactions. Seuls 7% des effectifs sont enfants d’ouvriers par exemple. ”Il y a déjà l’entrée dans les écoles, puis en stage, puis dans le monde professionnel, et les difficultés existent lors de ces trois étapes. Pour la première, malgré de nouveaux modes de recrutements à la suite de la crise sanitaire, les profils demeurent proches, avec une culture générale prédominante, une valorisation des stages auparavant, ce qui implique des ressources financières. Or, il faut du réseau, souvent personnel pour trouver ces fameux stages. Pour préparer les concours, beaucoup passent aussi par des prépas privées”, rappelle Baptiste Giraud. L’occasion de rappeler ce que propose la Chance : une prépa gratuite aux concours, ouverte aux étudiants boursiers ou en situation de handicap, afin de les aider à passer cette délicate sélection, avec l’aide de journalistes bénévoles.

Les échanges se poursuivent, chacun prenant petit à petit sa place dans la discussion. En parlant de l’alternance, par exemple, solution souvent vue comme égalitaire, car permettant d’obtenir un salaire en parallèle de son master, une étudiante évoque sa propre expérience. Face à un tuteur très occupé, il lui a fallu trouver sa place seule. ”Je me suis sentie un peu perdue, et j’ai dû travailler nuit et jour, avec une pression constante”, confie-t-elle. Autre questionnement : les inégalités face à l’orthographe. ”Combien d’heures de formation faut-il à l’âge adulte pour rattraper un niveau d’orthographe correct? Est-ce une marque indélébile, ou est-il possible de corriger cela ?”, questionne la journaliste Marie Naudascher. Entre expériences personnelles et réflexions collectives, le groupe semble bien fonctionner.

Il en va de même pour l’atelier à leur droite, déjà en pleine discussion lorsque nous les rejoignons. Le sujet de la table : « Écoles, DRH, rédactions et CPNEJ : mieux dialoguer, pour mieux défendre les cursus et les métiers”. La question que se pose Marie-Christine Lipani, maître de conférences à l’IJBA : ”Comment montrer davantage aux étudiants et aux jeunes diplômés ce que font les entreprises de presse ? Par exemple, en dévoilant les possibilités de carrières en PQR ?” Pascal Guénée, qui pilote les échanges, acquiesce : ”Il faudrait créer de nouveaux espaces de dialogue, afin d’échanger sur ces sujets, notamment à l’échelle de la CPNEJ, pour informer davantage sur le marché de l’emploi”. Deux étudiants, de l’autre côté de la table, sont aussi en accord sur ce point, évoquant des cours insuffisants sur le sujet, et le besoin de davantage de contenus sur les piges, notamment en télévision et en radio. 

Ludovic Finez, représentant syndical, évoque les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés. ”Sur la question de la démotivation, il y a aussi un examen de conscience à faire dans les entreprises ! Dans la PQR, on observe par exemple un empilement des tâches techniques, qui mangent le cœur du métier. En plus du papier dans le print, il faut aussi s’occuper des réseaux sociaux, de la version web… La question du temps de travail, l’ambiance, tout cela pèse aussi”, rappelle-t-il. De quoi nourrir des échanges sur la problématique, pour tenter de dégager des recommandations…

Trouver des solutions, c’est aussi l’objectif de l’atelier ”La carte de presse est-elle toujours incontournable ?”. Question clef, alors que le nombre d’encartés est passé depuis peu sous la barre symbolique des 35.000 journalistes. Les débats sont notamment pilotés par Laurent Bigot, directeur de l’EPJT, en présence de Catherine Lozac’h, présidente de la Commission de la carte de presse. 

Interrogation amenée par les participants : faut-il élargir le périmètre d’éligibilité de ce fameux sésame ? D’un côté, on évoque l’idée d’une carte pour les étudiants. De l’autre, on rappelle que de nombreux jeunes diplômés espèrent créer leur propre support, ce qui les éloigne aujourd’hui de la possibilité d’être encartés. Pour la CCIJP, il est difficile de trancher : ses missions sont fixées par l’Etat. ”Un texte nous attribue la mission de donner cette carte, nous ne pouvons donc pas répondre à cette demande, la réponse devra venir du législateur”, souligne la présidente.

Direction une autre table ronde, sur un sujet qui sera largement débattu durant ces deux jours : ”Management, dépasser le choc des générations et répondre aux nouvelles aspirations des jeunes journalistes”. Durant l’échange, on évoque les problèmes justement rencontrés au sein des rédactions. ”En interne, il est souvent compliqué de dire clairement ce qui ne va pas. Pendant des années, le mensonge était privilégié, par exemple justifier le retrait d’un papier mauvais, à cause d’un manque de place, plutôt que de dire clairement les choses. Ce type de justifications passe beaucoup moins aujourd’hui, avec le web”, remarque une participante, ajoutant qu’il en va de même lorsque le chef de rubrique ou le rédacteur en chef se retrouve à réécrire 80% du papier. Le journaliste ne s’en aperçoit parfois même pas ! On opine autour de la table, la situation a déjà été rencontrée.

Autre problématique : l’écart parfois gigantesque de situation et de rémunération, entre les pigistes ou les jeunes journalistes, et leurs N+1. ”L’écart peut justifier des incompréhensions, quand un pigiste est payé 50 euros pour un papier, et que son manager gagne dix fois plus que lui, en CDI. Il y a aussi cette tendance à vouloir faire souffrir les jeunes, comme on a souffert…”, soupire l’une des journalistes du panel. De quoi susciter des discussions animées. ”Attention, il nous reste trente minutes pour formuler des propositions, il faut que l’on débouche sur du concret”, rappelle Arnaud Schwartz, directeur de l’IJBA, pilote de l’atelier, qui note les idées sur le grand tableau blanc, situé à côté du groupe…

En bout de salle, on discute d’un autre sujet important : ”Quelles compétences pour les jeunes journalistes aujourd’hui et demain ?”. Pierre Ginabat, directeur de l’EJT, questionne les étudiants présents autour de la table : ”Je me demande, sur l’IA, est-ce qu’un jeune journaliste imagine que l’intelligence artificielle pourrait faire son travail un jour?” Une étudiante répond n’y avoir jamais réfléchi. ”Peut-être qu’il le faudrait”, se demande le directeur, ”L’IA est déjà capable de traiter des statistiques, d’écrire un compte-rendu de match avec le point de vue du gagnant et du perdant. Et les Panama papers ne seraient sans doute jamais sortis, sans l’IA, ces milliers de données étant tellement vastes à explorer”. Les étudiants, face à cet argument, estiment qu’il y a toujours un besoin d’informer, qui reste humain. La thématique est en tout cas sujette à débats !

Une journaliste présente, passée par Cuisine actuelle, se souvient qu’une intelligence artificielle était capable de récolter des milliers de recettes, pour en générer de nouvelles. ”Mais cela se fait sans aucune patte d’écriture, sans réflexion”, relève-t-elle. Cela doit-il faire partie des compétences à avoir ? Il est en tout cas temps de se presser dans l’atelier. ”Il nous reste une demi-heure pour trouver des propositions concrètes pour améliorer la formation”, met en garde le journaliste Ulysse Thevenon, co-pilote de l’atelier, déclenchant des rires. Le débat peut partir loin, c’est aussi le but de ces échanges !

En parallèle, l’atelier ”Produire et bien utiliser les nouvelles compétences sur les politiques de la Terre” semble passionner les étudiants et jeunes diplômés participants, aux côtés des représentants d’écoles. Une étudiante évoque par exemple une promotion de l’ESJ, tournée vers l’écologie, avec des étudiants ayant réalisé une fresque du climat, se spécialisant sur cette thématique.

Les directions l’entendent, bien sûr. Alice Antheaume, directrice de l’école de journalisme de Sciences po, évoque les efforts réalisés au sein de son établissement sur le sujet : ”Nous avons mis en place dès 2020 un cours obligatoire sur la politique de la Terre en M1, puis une enquête en M2 sur des sujets climatiques. C’est mieux qu’avant, mais cela demeure insuffisant pour devenir réellement spécialiste du sujet. Se former au secteur de l’énergie demande du travail et de l’investissement. Et c’est une vraie problématique pour nous : comment faire rentrer tous ces contenus essentiels, tout en conservant des emplois du temps raisonnables ?” Trancher sur une maquette pédagogique n’est pas chose aisée. ”Cela se fait aussi au détriment d’autres choses, nécessairement…”

Les étudiants se montrent en tout cas enthousiastes à l’idée d’être davantage formés à ces enjeux. ”Cela peut passer par un projet favorisé par l’école, par exemple, sur une thématique liée aux enjeux climatiques, urbains, alimentaires… Cela peut être l’occasion aussi de nous former à la data, la cartographie, de tester de nouvelles compétences”, suggère une étudiante. Tous s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’un manque aujourd’hui. À combler pour les prochaines promotions ?

Pendant ce temps, à l’étage, on parle d’alternance, ”entre effet d’aubaine et insertion durable”. Le sociologue Samuel Bouron participe aux échanges. ”Les entreprises médiatiques formalisent différemment l’encadrement des alternants. Certains ont prévu des petits parcours de formation interne, par exemple, mais il existe une grande hétérogénéité et de véritables disparités. Certains sortent déjà des papiers au bout d’une semaine. De manière générale, nous observons que cela se passe mieux lorsque les effectifs sont restreints, avec moins de strates entre les pôles de CDD/ alternants, et de titulaires”, souligne-t-il. L’idée vient en discutant : pourquoi ne pas organiser une formation des tuteurs ? ”Cela pourrait même être asynchrone en partie, avec quelques heures d’apports théoriques”, suggère Corinne Vanmerris, directrice adjointe de l’ESJ Lille, pilote de l’atelier.

Les étudiants mettent également le doigt sur un point clef pour eux : la prime d’activité. Elle est accessible, à condition de toucher 1.028,96 € net. Or, il leur manque souvent quelques dizaines d’euros pour atteindre ce palier ! Autour de la table, un consensus semble se créer pour sensibiliser les rédactions à ce sujet, afin de permettre aux jeunes journalistes d’améliorer leur quotidien, grâce à cette prime.

À quelques pas de là, on se concentre sur les ”bourses, stages, CDD et CDI”. Un journaliste plus expérimenté prend la parole : ”Avant, on acceptait trop de choses. Non, ce n’est pas normal de traverser la France, sans indemnité kilométrique, d’avoir des piges si mal payées, pour les stagiaires et les pigistes qui démarrent”. D’un autre côté, une autre journaliste en poste évoque le point de vue des ”anciens”, s’étonnant de voir la jeune génération quitter la rédaction à 18h pile, ne pas rester au pot du soir, ne pas tenter davantage de s’intégrer… Un débat important, qui revient régulièrement au fil de la journée. D’un côté, des jeunes refusant de sacrifier leur vie personnelle pour leur métier. De l’autre, des expérimentés, qui observent ce décalage générationnel.

Le groupe évoque une idée : que tout stage soit rémunéré. Est-ce faisable ? Lucie Maludi, assistante du développement RH du groupe L’Express, évoque aussi la bonne volonté de certains médias, qui mettent en place des initiatives pour accueillir et intégrer les nouveaux venus en bonne et due forme.

Surprise, les plus rapides à trancher sur les recommandations sont les participants de l’atelier ”Comment aller vers un journalisme plus inclusif ?” Roselyne Ringoot, directrice de l’EJDG, vient de se lever, elle s’arrête un instant pour débriefer en notre compagnie : ”Nous avons eu plutôt des points d’accords ! Pas mal d’idées sont remontées, de quoi nous donner cinq propositions. À chaud, je retiens une discussion autour de la problématique du niveau requis à l’entrée à l’école, et de celui demandé ensuite en rédaction. Nous devons bien préparer les jeunes, et tout le monde doit avancer en même temps, ce qui nécessite un certain niveau dès l’arrivée à l’école…”

Certes, les écoles sont très sélectives. Mais derrière, pour être recrutés par des médias, leurs jeunes diplômés doivent aussi être fins prêts et opérationnels. Une équation que peinent à résoudre les établissements. Peut-être avec des pistes issues de ces débats ?

Passons à l’étage, à la salle Mirabelle au deuxième. Trois ateliers s’y tiennent, éclairés par de grandes baies vitrées. Sur les premières missions, l’objectif du groupe le plus proche de la porte est de ”remettre les jeunes journalistes sur le terrain”. ”Chaque média a sa propre stratégie d’audience, de publicité, de recrutement des abonnés… Tout dépend de son modèle économique, et il est essentiel qu’un jeune, lorsqu’il démarre son stage, sache exactement où il met les pieds”, relève Patricia Panzani, directrice adjointe de l’Alliance de la presse d’information générale. Sarah Gros, étudiante, acquiesce, posant la question de la reprise de dépêches, exercice souvent confié aux jeunes débutant dans la profession.

On se demande autour de la table ce qu’est ”le terrain”. Une étudiante relève qu’il est bien différent de travailler certes à un bureau, mais en appelant des experts, par rapport à un simple bâtonnage de dépêches. Le terrain n’est pas que le reportage, mais aussi la possibilité d’échanger, d’enrichir les contenus. L’idée d’organiser des roulements dans les rédactions, et de ne pas laisser la tâche roborative du bâtonnage aux seuls jeunes, est abordée. Les échanges vont bon train, lorsqu’une représentante de la CEJ passe pour prévenir de la fin de l’atelier. ”Il faut s’arrêter là, déjà ?”, glisse-t-on. 

Côté atelier sur la précarité économique, les discussions vont encore bon train. On parle de la pige. Emilie Gillet, experte de la table et pigiste, rappelle les grandes problématiques rencontrées par les jeunes qui se lancent : beaucoup de médias ne paient pas les déplacements liés aux reportages, les pigistes ne peuvent pas se présenter aux organisations professionnelles, certains ne connaissent pas leurs droits et acceptent de travailler dans des conditions illégales… La question de la formation se pose, car la pige fait pourtant déjà partie du référentiel des écoles.

Elle aussi journaliste pigiste, Sylvie Fagnart évoque l’idée d’un pigiste rémunéré par chaque école, afin d’être référent pige, afin de guider les étudiants sur ce sujet délicat. ”Il faut que ces sujets apparaissent davantage dans la formation, et plutôt vers la fin de la formation. Si les élèves ne sont là que depuis deux mois, est-ce que cela a un sens?”, questionne-t-elle.

Au tour, enfin, de « Se préparer aux nouveaux modes de consommation de l’information”. Parmi les experts présents aujourd’hui : Olivier Laffargue, chef de service Snapchat et TikTok du Monde. Celui-ci rappelle que 90% des Français sont internautes, et que 70% sont inscrits sur un réseau social. ”Cela fait partie de notre quotidien ! Parmi eux, 80% accèdent à internet via un mobile. Nous parlons ici de nouveaux modes de consommation de l’information, avec des mouvements encore peu connus de la presse, cela nous touche donc, en tant que médias, mais aussi en tant que formateurs”, souligne-t-il. Les échanges se tournent vers les nouveaux usages, et la formation des jeunes.

Après deux séries d’ateliers, la fatigue commence à se lire sur les visages ! Il est temps de s’arrêter, pour un déjeuner bien mérité. Un brouhaha retentit petit à petit au rez-de-chaussée, où sont distribués les plateaux repas (et le café bien sûr, toujours grand ami de la profession !). Une pause d’environ une heure et demie est prévue, le temps de laisser décanter les nombreuses idées échangées durant la matinée. Le placement étant libre pour le repas, les groupes se mélangent, l’occasion de revenir sur les temps forts des différents ateliers. ”Et toi, auxquels as-tu participé ? C’était intéressant ?”, glisse un voisin de table curieux, tout en goûtant son crumble de légumes. Les étudiants et jeunes diplômés semblent également heureux de se retrouver, pour confronter les points de vue.

Il est désormais presque 14h30, l’heure de retourner dans les salles, pour un dernier atelier. Cette fois, nous nous arrêtons à l’un d’entre eux, pour suivre l’intégralité des échanges. Ce sera ”Précarité économique, aléas des revenus de la pige, inflation, éviter de perdre des talents”. Dans le groupe : Robin Rico, jeune diplômé, deux étudiantes, Emma Calvet et Sarah Gros, Aymeric Vincent, directeur de la transformation et de l’innovation RH au groupe Echos-Parisien, Emmanuel Marty, enseignant-chercheur de l’EJDG, Claire Tomasella et Emilie Gillet.

Emilie Gillet revient à nouveau sur le constat de précarité des jeunes journalistes à la pige. “Les droits ne sont pas toujours respectés et la rémunération non revalorisée. Pourtant, en 2020, la moitié des premières cartes de presse ont été remises à des pigistes”, souligne-t-elle, rappelant que le revenu médian des postés s’élève à 3.600 euros bruts et qu’il a augmenté de 1% en vingt ans. Tandis que celui des pigistes est de 1.970 euros, et qu’il a perdu 8% depuis 2000. Selon une étude de la Scam, un pigiste sur deux gagne moins de 20.000 euros bruts par an. Et seul un quart dépasse le Smic !

Non-respect de la loi Cressard, méconnaissance du droit et du management des chefs de rubrique, jeunes qui ne connaissent pas leurs droits, tarifs bas, le constat est difficile, mais nécessaire. L’experte met en avant l’envie croissante de rejoindre des collectifs, de plus de fraternité et de moins de compétition entre pigistes. La discussion part du témoignage d’une des étudiantes, expliquant avoir été initiée au sujet par son tuteur de la Chance aux concours, un pigiste heureux de l’être. ”Tout dépend de si l’on est informé ou non. Moi, j’ai peur, cela me semble très incertain, j’ai peur de ne pas gagner ma vie et je ne connais pas la législation, les différents statuts…”, confie sa voisine, peu rassurée par l’aventure de la pige.

Robin Rico raconte sa propre expérience, plutôt heureuse pour le moment, de la pige. ”Le pigiste peut être précaire et subir sa situation. Pour d’autres, c’est aussi un sentiment de liberté, de n’être pas attaché à une seule rédaction”, confirme Emmanuel Marty, de l’EJDG, relevant la nécessité ”de former au sein des écoles les futurs journalistes, sur ce qu’est la pige”.

Côté employeurs, Aymeric Vincent évoque le fonctionnement au sein de son groupe : l’idée de proposer des tickets-restaurants aux pigistes, de leur permettre de faire partie des représentants du personnel. ”S’il n’y avait plus de pigistes demain, beaucoup de journaux seraient en très grande difficulté”, reconnaît-il volontiers.

”Quels mécanismes incitatifs pourrait-on imaginer?”, se questionne Emmanuel Marty, ”uniformiser les conditions de rémunération ? Le but est d’éviter de perdre des talents ! Une proposition pourrait être de conditionner les aides à la presse au respect d’un certain nombre de garanties…” ”Le problème est de savoir qui vérifierait cela”, répond Emilie Gillet.

Il est temps de réfléchir à des propositions. Les étudiantes évoquent l’idée de la création d’une plateforme regroupant le réseau des anciens de toutes les écoles, ainsi que d’une sorte de marketplace pour revendre du matériel entre professionnels. ”Chaque média pourrait aussi écrire clairement ce qu’il attend d’un synopsis, son prix au feuillet, pour sensibiliser les étudiants à la pige”, suggère l’une d’entre elles. L’occasion de rappeler l’existence du site Paie Ta Pige, collaboratif et incomplet, mais permettant de donner une idée à chacun des tarifs pratiqués dans les différentes rédactions.

Autre problématique soulevée : les difficultés administratives rencontrées par les pigistes, a fortiori les jeunes. Pourquoi ne pas donner systématiquement, en même temps que la première fiche de paie, les coordonnées des bons contacts côté RH et paie ?

L’heure de la pause a sonné. Nous sortons prendre l’air, en compagnie de nombreux autres participants. Quelques étudiants en profitent pour glaner de bons conseils auprès de journalistes plus expérimentés. Synopsis, rencontres avec les rédactions, comment provoquer sa chance… Autant de pistes pour les aider à se lancer, une fois le diplôme en poche. ”Je n’ai jamais eu de mal à trouver du travail, en étant actif”, glisse un journaliste pigiste dans l’audiovisuel, racontant ses projets professionnels à une étudiante qui rêve de faire de même.

Pour les rapporteurs, il est temps de se réunir ! Objectif, parfois délicat selon les groupes : réussir à synthétiser tous les propos, pour ne garder que trois recommandations, pour chaque atelier. Parfois, ce n’est pas une mince affaire, nous avouent deux participants, qui se creusent la tête face à de nombreuses possibilités. Il faut recroiser les discussions, relire les notes et bien réfléchir pour garder trois idées réalisables, néanmoins utiles pour le long terme, pour les écoles et la profession de façon plus large. 

Rendez-vous à la salle Aubergine, pour énoncer les recommandations pour chaque groupe. Mais c’est un faux départ ! Certains ateliers n’ont pas terminé, quelques participants clefs ont dû repartir… Bref, la fin d’après-midi et le début de soirée s’annoncent encore studieux pour certains panels, qui vont devoir échanger à nouveau et affiner les propositions pour le lendemain. Les groupes se dispersent. Coups de fil, consultations des mails laissés en souffrance durant cette journée intense, dernier café… Chacun prend le temps de gérer ses propres urgences ! Pour cela, le MAS est bien pensé, offrant plusieurs lieux pour s’installer, recharger son ordinateur, ou se mettre au calme quelques instants.

On retrouve les plus affamés (dont une partie des représentants des écoles !) devant la porte de la grande salle, prêts pour le dîner. Il n’y a pas de plan de table, chacun s’assoit où il le souhaite, accueilli par de grandes bouteilles d’eau pétillante et de vin rouge. Quelques-uns manquent encore à l’appel, et arrivent en cours de dîner, justement pour achever d’affiner recommandations et discours du lendemain. On parle ateliers, travaux, mais aussi quotidien dans les écoles et dans les médias, l’ambiance se détend. Idéal pour achever cette première journée riche en échanges et en émotions, et se préparer pour le lendemain, qui s’annonce tout aussi dense.

Par : Laura Makary.

Crédits photos : Studio 9. Nicolas Feutry. Dessins : Laura Makary.

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